mardi 28 septembre 2010

Devenez co-product(u)eur de "Dans ta gueule !"

Un film-documentaire du Berry Ripou sur son procès remporté contre Hortefeux. Malgré la victoire, notre journal est affaiblit par les frais de justice qu'a entraînés cette procédure. Et d'autres procès sont intentés un peu partout en France pour affaiblir et intimider les citoyens libres qui osent s'exprimer : Tours, Poitiers, Toulon, Pau... Voilà pourquoi le Berry Ripou vous propose un "Don-Solidaire" qui vous permet de devenir "Co-Producteur" du film "Dans ta gueule !" retraçant notre combat pour les sans-papiers, pour la Liberté d'expression mais aussi en mettant en lumière tous nos soutiens ainsi que les procès de nos co-inculpés de France ayant osé se révolter contre la politique insupportable de Hortefeux. - (Sortie du film "Dans ta Gueule !" fin décembre 2010).
APPEL AUX DONS SOLIDAIRES
Pour co-Produire le Film citoyen « Dans ta Gueule ! »
et nous permettre de rembourser les frais du Procès de la caricature du Ripou

1. Don solidaire: jusqu'à 5 € donnant droit à une entrée gratuite pour le film.
2. Don "simple": 15 € comprenant: entrée gratuite et affiche du film dédicacée.
3. Don "Co-Producteur": 20 € (ou plus) comprenant: entrée gratuite, affiche dédicacée du film et VOTRE NOM au générique en tant que "co-producteur".

Envoyez votre chèque à l'ordre et au siège social de:
Association Le Berry des Pendus, 45ter, rue de Sarrebourg - 18000 - Bourges


NDLA : Il va de soit, que chaque membre du Café Repaire Berrichon co-produisant ce film, aura son nom et prénom de cités sur une page de notre p'tit blog favori !

lundi 13 septembre 2010

Supplément au 11ème Café Repaire du jeudi 16 septembre



Amis AMG d'ici et d'ailleurs bonjour,

Les jours se succèdent tranquillement en notre beau Berry mais l'actualité locale nous rappelle bien vite qu'un péril couve en sourdine. La liberté d'expression est jugée. Vendredi 17 septembre, le lendemain de la rencontre du Café Repaire, s'ouvrira le procès Bourrette co
ntre Le Berry Ripou au tribunal de grande instance de Bourges (TGI ). Il n'y a pas de comité de soutien à ma connaissance, mais un mot d'ordre circule : rendez-vous devant le TGI à 14h, "ouverture des débats", comme si il y avait débat sur la liberté d'expression, de la presse et du citoyen..

"Trouver de nouvelles armes" est le thème de la rencontre du prochain Café Repaire. Son titre est emprunté à celui d'un séminaire qu'Ars Industrialis à organisé au Collège internationale de philosophie, et si on entend bien ce que dit Bernard Stiegler dans son intervention d'introduction, une révolution est en marche.


Pour apporter quelques d'éléments qui serviront certainement notre discussion, voici deux textes d'Emmanuel Terray qui éclaire la situation, ainsi qu'une invitation (en image au dessus, cliquez pour agrandir) au nouveau cours que donnera Bernard Stiegler à l'école du Grand-Meaulnes à Epineuil-le-Fleuriel à partir du samedi 18 septembre.

jeudi 16, Café Repaire de Pigny à 19h
vendredi 17, TGI de Bourges à 14h
samedi 17, Cours philo d'Epineuil à 15h

Quand on veut interpeller des indésirables, il faut aller les chercher là où ils sont, par Emmanuel Terray


Anthropologue, ancien directeur du Centre d’études africaines (EHESS-CNRS) entre 1984 et 1991, et membre de la Ligue des Droits de l’Homme, Emmanuel Terray est l'auteur d'un texte dont le Monde a refusé la parution « 1942-2006: réflexions sur un parallèle contesté », mais qui circule sur le net, et que l'on peut lire sur l'un des sites de la ligue des droits de l'homme ou sur celui de resf.



«Quand on veut interpeller des indésirables, il faut aller les chercher là où ils sont »

« A partir du moment où la police se livre à des interpellations massives opérées à l’improviste dans une certaine population, eh bien il y a rafle ! Effectivement, le terme de rafle a été utilisé dans plusieurs circonstances historiques. Au moins deux, dans l’espace de mon existence. Pendant la guerre bien entendu, l’exemple cité par le Petit Robert, c’est la rafle du Vel d’Hiv. Il y a eu aussi des rafles pendant la guerre d’Algérie, et il se trouve qu’à ce moment-là, j’ai assisté à certaines de ces rafles, en tous cas l’une d’entre elles, le 17 octobre 1961, où une manifestation pacifique, désarmée, a été proprement raflée par la police. A partir du moment où de telles opérations ont lieu, et elles ont lieu, je ne vois pas pourquoi on n’emploie pas le mot rafle. Le mot rafle s’écrit avec une minuscule, c’est nom commun. C’est par une sorte de pudeur ou de scrupule incompréhensible que ce terme n’est pas employé. » (…)

« Ce qui fait le caractère suprêmement tragique des rafles de 1942, dont je rappelle qu’elles sont effectuées pour l’essentiel par la police française, c’est qu’au terme de la rafle, la police française remet les gens qu’elle a capturé aux Allemands. Elle les remet aux nazis et à partir de ce moment-là, ils sont déportés, ils partent d’abord à Drancy, puis à Compiègne, et ils sont mis dans des trains en direction de l’Allemagne et à ce moment-là la police française se désintéresse de leur sort. C’est cette présence allemande qui fait tout le caractère unique et extraordinairement tragique de l’extermination de 1942, et bien entendu aujourd’hui, il n’y a pas extermination, et il n’y a pas Allemands. Mais en revanche si l’on regarde l’attitude de la police française, les similitudes apparaissent. »

« La première similitude, c’est le fait qu’un certain nombre d’individus qui vivent parmi nous, qui sont installés sur notre territoire, sont désignés comme des indésirables. Et ces indésirables, on décide de s’en débarrasser en les mettant dehors. La deuxième similitude est commandée par la nature des choses : à partir du moment où l’on veut interpeller des suspects collectivement désignés, il n’y a pas beaucoup le choix. Les techniques existent. C’est la convocation piège dans les préfectures, qui était déjà pratiquée en 1942. C’est la rafle, l’arrestation massive. C’est l’interpellation des enfants dans les écoles. On a beau me dire que les deux situations n’ont aucun rapport, c’est quand même la première fois depuis les années 1940-1945 que des enfants sont interpellés dans des écoles. C’est l’interpellation des gens à leur domicile comme ça s’est produit à Amiens, avec les conséquences tragiques que l’on connaît. Techniquement parlant quand on veut interpeller des indésirables, il faut aller les chercher là où ils sont. Le fait que la police française se soit vue fixer des objectifs chiffrés en la matière, et sur lesquels les responsables sont jugés par leur hiérarchie, a pour conséquence que cette chasse prend des formes tout à fait spectaculaires. »

« Ce qui c’est passé à deux pas de votre journal, place de la République, l’année dernière, à l’occasion des Restaurants du cœur, où la police est venu interpeller une trentaine de sans-papiers après en avoir contrôlé bien davantage, c’est une rafle. J’ai ici le rapport de la Cimade, il y a une rubrique rafles et une liste de rafles vous est indiquée : liste des rafles et nombre de personnes placées en rétention recensées par la Cimade. Ce document est dans le domaine public, chacun peut le consulter. Et la Cimade, qui est experte en la matière puisqu’elle était déjà sur ce front en 1940-42, n’hésite en aucun cas à parler de rafles, je ne vois pas pourquoi je m’abstiendrais d’en parler. »

« Les méthodes policières sont commandées par la nature des choses : c’est un problème technique. A partir du moment où vous voulez interpeller des gens qui n’ont pas commis de délit particulier, sauf celui d’être là, ou bien c’était celui d’être juif en 1942, vous allez les chercher là où ils sont, vous leur tendez des pièges pour les amener dans les préfectures, vous allez mettre des dispositifs policiers pour les interpeller dans les quartiers où ils habitent. Il faut savoir que cette année au métro Belleville, c’est pratiquement chaque semaine que les opérations de ce genre ont lieu. D’après ce que m’ont raconté les habitants du quartier, une semaine ce sont les Chinois, une autre semaine ce sont les Arabes, probablement en fonction des avions qu’il faut remplir, et ce sont des rafles qui sont ciblées sur des populations déterminées.»

« Une des conséquences de tout cela, c’est quand même le fait extrêmement grave que désormais, c’est par centaines que les enfants sont enfermés en centre de rétention. La Cimade le mentionne : les chiffres pour 2005 sont de l’ordre de 400. Et je pense qu’aujourd’hui ils ont beaucoup augmenté. Les parents sont soumis au chantage : ou bien vous les emmenez avec vous, ou bien on les met à la Ddass. C’est quand même extrêmement grave que des enfants de trois à six ans soient enfermés dans des centres de rétention. Ultime parallèle : quand la Cimade a interpellé les autorités sur ce placement des enfants en rétention, en leur disant "mais les enfants n’ont pas à être en rétention puisqu’ils ne sont pas expulsables", la réponse de l’administration a été “oui mais nous agissons dans un but humanitaire pour ne pas séparer les parents des enfants“. Eh bien, je le dit brutalement, j’appelle ça la jurisprudence Laval –Bousquet, parce que c’est exactement la réponse que Laval et Bousquet ont faite aux autorités chrétiennes quand les autorités chrétiennes leur ont demandé de ne pas interpeller les enfants juifs, Laval et Bousquet leur ont répondu qu’ils faisaient cela dans un but humanitaire pour ne pas les séparer de leurs parents. On peut penser qu’il s’agit d’une pure et simple coïncidence, n’empêche que la réponse est mot pour mot la même. »

Propos recueillis par Karl Laske in Contre journal :
http://contrejournal.blogs.liberation.fr/mon_weblog/2007/09/emmanuel-terray.html

Après plusieurs ouvrages d’anthropologie, Emmanuel Terray est l'auteur de Lettre à la fugitive, Odile Jacob, 1988 ; La politique dans la caverne, Seuil, 1990 ; Le troisième jour du communisme, Actes Sud, 1992 ; Une passion allemande, Seuil, 1994 ; Clausewitz, Fayard, 1999 ; En substance, Fayard, 2000, Traversées, avec Jean-Paul Colleyn, Labor, 2005, Face aux abus de mémoire. Actes Sud, 2006.

1942-2006 : Réflexions sur un parallèle contesté, par Emmanuel Terray Cedetim/CMIL (Cercle Migrations et Liberté) Octobre 2006



1942-2006 : réflexions sur un parallèle contesté

La répression de l'immigration illégale telle qu'elle est conduite par le Ministre de l'Intérieur et les divers procédés qu'elle met en oeuvre -opérations « coup de poing » dans les quartiers habités par les migrants, contrôles au faciès, interpellation des enfants dans les écoles, convocations-pièges au guichet des préfectures- évoquent inévitablement, aux yeux de certains de nos concitoyens, les années noires de 1940-1944 et le sombre souvenir des persécutions antisémites.

Bien entendu, sitôt que ce parallèle est explicitement énoncé, les protestations fusent pour souligner son caractère incongru. Les deux situations n'auraient, assure-t-on, rien de comparable, et leur seul rapprochement serait une insulte à la mémoire des victimes de l'extermination.
Voire... Assurément, il existe entre les deux épisodes des différences considérables, et il serait absurde de les nier. Cependant, sitôt qu'on cherche à les cerner de façon précise, il apparaît qu'elles tiennent presque exclusivement au rôle des occupants allemands : terriblement présents et actifs en 1942, ils ont -fort heureusement- disparu en 2006. En revanche, si l'on considère le comportement des autorités françaises, les similitudes sont manifestes.

En premier lieu, la présence de certaines personnes sur notre sol est constituée en « problème », et tous les esprits « raisonnables » s'accordent pour estimer que ce problème exige une solution. En 1940, une large fraction de l'opinion, débordant de très loin les frontières de l'extrême-droite, reconnaissait la réalité d'une « question juive » en France, même si des divergences profondes existaient quant aux réponses à lui apporter. De même, de la droite à la gauche, nos dirigeants proclament d'une même voix que l'immigration illégale met en péril nos équilibres sociaux et notre identité, et qu'il faut donc la refouler, les désaccords ne portant que sur la méthode.

En second lieu, les solutions envisagées passent toutes par l'expulsion partielle ou totale des personnes jugées indésirables. En 1942, cette expulsion prend la forme d'une livraison aux autorités occupantes. En 2006, les intéressés sont renvoyés dans des pays dont certains sont soumis à des dictatures impitoyables, dont d'autres sont ravagés par la guerre civile, dont tous sont marqués par le sous-développement, le sous-emploi et la pauvreté. Bien entendu, le résultat final est infiniment moins tragique aujourd'hui qu'hier, mais ce qui est caractéristique, c'est que, dans les deux cas, l'administration française se désintéresse entièrement de ce résultat : littéralement, ce n'est plus son affaire. On a soutenu qu'en 1942 les autorités françaises ignoraient le sort réservé aux Juifs par les nazis : peut- tre, mais leur ignorance même était le résultat d'une décision réfléchie : elles ne voulaient pas le savoir. Il en est exactement de même aujourd'hui : ce qui compte pour le gouvernement, c'est de se débarrasser des hommes, des femmes et des enfants concernés ; sitôt la frontière franchie, il ne s'estime plus responsable de rien et les abandonne à leur destin en toute indifférence.

Pour expulser les gens, il faut d'abord s'assurer de leur personne. Nous retrouvons ici la gamme des procédés que j'évoquais en commençant. C'est que dans ce domaine les analogies résultent de la nature des choses ; la chasse à l'homme, surtout lorsqu'elle est assortie d'objectifs chiffrés, implique l'utilisation d'un certain nombre de techniques : rafles, convocations-pièges, interpellation des enfants dans les écoles, internement administratif. Quelles que soient les populations ciblées, le recours à ces techniques est inéluctable dès lors qu'on prétend à l'efficacité. Il faut d'ailleurs admettre que, sur ce point, le Ministre de l'Intérieur n'a guère innové par rapport à ses prédécesseurs de l'époque de Vichy et de la guerre d'Algérie et la police française n'a eu qu'à puiser dans ses archives pour retrouver les bonnes vieilles méthodes.

En quatrième lieu, la mise en oeuvre de la répression et les dérives qui l'accompagnent suscitent inévitablement des protestations de caractère moral ou humanitaire. Face à ces protestations, la riposte des responsables est la même, en 2006 comme en 1942, et elle est double : d'un côté, les autorités, nous disent-elles, ne font qu'appliquer la loi, et les protestataires s'entendent reprocher leur incivisme. Par ailleurs, pour désarmer les oppositions, les autorités introduisent des distinctions à l'intérieur de la population frappée par la répression. En 1942, le gouvernement de Vichy déclarait séparer le cas des Juifs français, dont il prétendait vouloir sauver au moins la vie, de celui des Juifs étrangers, livrés pieds et poings liés à l'occupant. De même aujourd'hui, Maître Arno Klarsfeld, l'ineffable médiateur promu par le Ministre de l'Intérieur, insiste sur l'opportunité d'opérer un tri, une sélection, entre les familles qui ont des attaches avec la France et celles qui n'en ont pas, l'expulsion de ces dernières n'appelant aucune objection de sa part.
Entre 1942 et 2006, les éléments de continuité sont donc nombreux, et il est d'autant plus légitime de les mettre en évidence que, comme les historiens l'ont aujourd'hui démontré, la politique anti-juive du gouvernement de Vichy ne lui a nullement été dictée ni imposée par l'occupant, même si elle comblait ses voeux. C'est d'eux-mêmes et spontanément que le gouvernement, l'administration et la police de Vichy ont offert et apporté leur concours aux autorités allemandes, notamment sous le prétexte proclamé de préserver la souveraineté de l'Etat sur le territoire national : ils ne sauraient donc excuser leur conduite au nom de la contrainte ou de la « force majeure ». La comparaison est donc légitime avec la politique présente, dont l'origine « française » n'est pas discutée.

Si les événements suivent leur cours actuel, il est vraisemblable que les analogies iront jusqu'à leur terme et que, dans trente ou quarante ans, des cérémonies de repentance seront organisées pour déplorer et désavouer la politique d'immigration pratiquée actuellement. Plutôt que d'attendre un tel dénouement, ne serait-il pas préférable de renforcer dès aujourd'hui la résistance à cette politique, en attendant d'y mettre fin dès que l'évolution de l'opinion le permettra ?

Emmanuel Terray Cedetim/Cmil (Cercle Migrations et Liberté) Octobre 2006
Trouvé in Alternative Citoyenne 50 : http://alternative50.over-blog.com/categorie-915041.html




La jeunesse est l'avenir de l'homme, par Bernard Stiegler

"La jeunesse est l'avenir de l'homme"

Le consumérisme qui semble dominer notre époque - je dis qu'il semble dominer, parce que chacun sent bien qu'il n'est plus viable, qu'il est devenu toxique, que tout cela ne pourra pas durer et que quelque chose d'autre se cherche - frappe violemment une grande partie de la jeunesse, dont on a parfois l'impression (à tort, j'essaierai de dire pourquoi plus tard) qu'elle ne connaît aucune autre réalité que la marchandise jetable, c'est à dire en fin de compte sans réelle valeur. Et on l'a l'impression que la jeunesse se sent elle-même être sans valeur, et vivre dans un monde dévalué.

Le consumérisme cependant, n'est pas un phénomène nouveau. Ce que nous vivons en ce moment constitue le terme d'un processus. Que quelque chose se termine, c'est ce dont l'effondrement de General Motors a été l'indice planétaire en 2008. 2008 a signé la fin d'un processus qui a démarré au début du 20ème siècle de manière embryonnaire, et qui ne s'est véritablement imposé, en particulier en Europe occidentale, qu'après la seconde guerre mondiale, surtout à partir des années 60. Au cours de cette décennie, la jeunesse a été visée, « ciblée » et systématiquement harponnée par les médias de masse, en particulier, en France, à travers ce que l'on appelait alors les « radios périphériques », c'est à dire non autorisées à émettre sur le territoire national, parce que privées et financées par la publicité : Europe n°1 et RTL.

C'est à cette époque qu'est née l'émission Salut les copains, qui est aussi devenue un hebdomadaire, et qui a fabriqué la période dite « yéyé ». Il s'agissait alors de « segmenter» les marchés, comme dit le marketing. Et pour cela, de modifier les rapports intergénérationnels, de façonner une « culture jeune », etc. Ce fut aussi, et au plan mondial, l'avènement - après le rock'n roll dans l'Amérique des années 50 - de la pop music, non sans rapport avec le pop'art. Le phénomène sera très complexe, puisqu'il se combinera avec la lutte de la jeunesse américaine puis internationale contre la guerre du Vietnam. Ceci conduira aussi à 1968. Pourtant, et en apparente contradiction avec cette issue historique (qui reste encore très mal analysée), en lien étroit avec tout cela que l'on a appelé la contre-culture, la jeunesse deviendra alors et d'abord un marché, et avec elle, l'anti-conformisme deviendra un argument de vente, sinon le principal argument de vente. C'est un véritable marketing de la jeunesse qui s'impose ainsi, qui tend à se substituer aux acteurs éducatifs, parents et enseignants, aux institutions scolaire et familiale, et qui devient le principal segment de marché au service de la résolution d'un problème endémique du capitalisme industriel : l'excédent de production.

Les agences de publicité qui fleurissent alors en Europe, inspirées par la recherche des motivations née en Amérique après la seconde guerre mondiale, elle même inspirée des méthodes mises au point par Edward Bernays dans les années 20, commencent dès lors à cultiver un « style jeune » et valorisent systématiquement la nouveauté en l'opposant à tout ce qui est hérité et transmis.

C'est ainsi qu'aux USA, en 1955, une agence de publicité anticipant ce qui allait devenir, à la fin du siècle, le mode de vie de la planète entière, peut écrire que ce qui fait la grandeur de ce pays [l'Amérique du Nord], c'est la création de besoins et de désirs, la création du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé. La jeunesse et même souvent l'enfance sont évidemment ici les « cibles » prioritaires parce qu'elles sont beaucoup plus réceptives que les générations adultes.

Il faut insister sur le fait que le capitalisme surproduit de manière structurelle, qu'il se trouve toujours confronté au risque de la crise économique, et que pour pouvoir faire tourner ses machines et amortir ses investissements, il entretient un processus de développement permanent (d'innovation) auquel toute la société participe : les capitalistes eux-mêmes, mais aussi les syndicats et les travailleurs. Lorsque l'on produit un bien nouveau, tout le monde veut qu'il se vende parce que tout le monde veut du travail et du « pouvoir d'achat ». Cette machine consumériste, en particulier avec l'avènement du transistor, et pour pouvoir pénétrer la société plus rapidement, va viser en priorité la jeunesse parce qu'elle est beaucoup plus plastique que les générations adultes.

C'est ainsi que va apparaître cette génération dont une partie, se sentant instrumentalisée, va cependant et par contre-coup devenir contestataire, et dénoncer la « société de consommation » en se référant à Guy Debord, à Herbert Marcuse et à Jean Baudrillard, en mai 1968, et en France, mais aussi à San Francisco, à Tokyo - et même à Prague (mais c'est là un autre élément de contexte qu'il faudrait analyser pour lui-même en revenant sur l'expérience conduite alors par Alexandre Dubcek). Pendant très longtemps, on ne va pas bien comprendre ce qui se joue là. Or il s'agit du début d'un processus qui conduit à la destruction des relations intergénérationnelles.

Les relations intergénérationnelles sont fondamentales : je ne peux devenir adulte qu'à la condition d'avoir été enfant, c'est à dire d'avoir reçu ce que seuls un père et une mère peuvent me léguer (y compris bien sûr comme parents adoptifs). Ces relations me disent et m'enseignent qu'il y a des choses qui me dépassent, que je reconnais, et devant lesquelles je m'incline - sans nécessairement m'y soumettre, mais en en reconnaissant l'autorité. C'est parce que je reconnais l'expérience de mes parents, c'est à dire ce qu'ils m'ont transmis, à travers leur langage, leurs amis, leur culture et leurs passions, y compris leur propre reconnaissance vis à vis de leurs aînés, toutes choses reçues d'eux et sur quoi je me suis construit, que je tiens à la vie, et que je sais que, comme dit le pédiatre Donald Winnicott, « la vie vaut le coup d'être vécue ». Et que du coup je vaux quelque chose moi-même. Je développe ces questions dans un livre à paraître, Ce qui fait que la vie vaut le coup d'être vécue (1).

Or, comment ne pas être inquiet à cet égard, comment ne pas avoir l'impression que bien souvent, dans la jeunesse actuelle, ce sentiment de ce qui fait que la vie vaut le coup d'être vécue semble s'affaiblir, sinon disparaître ? Et que les jeunes gens ont perdu le sentiment de leur propre valeur, et de ce que vaut la jeunesse ?

Le sentiment de ce qui vaut, et qui du coup vaut le coup d'être vécu, c'est ce qui, chez les humains, est transmis à travers une longue chaîne intergénérationnelle, qui constitue aussi la base d'une confiance en soi et dans les autres sans laquelle une société est impossible. Or, je crois que cette confiance intergénérationnelle a malheureusement été ruinée par la façon dont le rapport entre les générations a été progressivement détruit et court-circuité par les médias audiovisuels en particulier.

C'est ce que j'ai tenté de montrer dans « Prendre soin. De la jeunesse et de générations » (2) , où j'analyse une campagne au cours de laquelle la chaine de télévision Canal J explique pourquoi elle est beaucoup plus intéressante pour les enfants et les jeunes que leurs parents ou leurs grands-parents - et je trouve scandaleux que les pouvoirs publics n'aient pas interdit cette publicité et condamné la chaîne qui l'avait commanditée.

Au lieu de cela, ces pouvoirs publics ont préféré faire des enfants - notamment de ceux qui sombrent dans la délinquance faute de ce soin élémentaire que constitue la relation intergénérationnelle porteuse de reconnaissance et de confiance - des boucs-émissaires, en supprimant l'excuse de minorité (c'est à dire les tribunaux d'assises soumis à une juridiction réservée aux mineurs), et plus généralement, et plus récemment, en pénalisant les familles fragilisées par cet état de fait, directement issu du consumérisme, qui ruine l'autorité des parents, et en supprimant les allocations familiales dans les familles dont des enfants sont absents de l'école.

La filiation - qui est la condition de constitution d'un appareil psychique capable de devenir adulte, et qui se prolonge et s'enrichit avec l'éducation prise en charge par les établissements d'enseignement - : voilà ce que le consumérisme détruit. Et les conséquences de cet état de fait sont calamiteuses. Le marketing mène cette politique de manière systématique et raisonnée. Je ne dis pas qu'il le fait de manière délibérée : le consumérisme ne voulait probablement pas détruire les liens parents-enfants ; mais les spécialistes du marketing ont empiriquement constaté qu'il était plus facile de faire pression sur les enfants pour faire consommer les parents - en France, 43% des actes d'achat sont réalisés sous la pression des enfants - et ils en ont tiré les conséquences commerciales, tout en se moquant des conséquences sociales.

Quant à la puissance publique, elle est devenue l'impuissance publique, totalement soumise à ce modèle toxique, et elle a mis en oeuvre une véritable incurie politique et sociale, face à cette incurie économique qu'est le consumérisme. Tout cela a conduit à la pénalisation et à la criminalisation de la jeunesse et des familles face à des entreprises, des médias et des publicistes qui ont tous les droits. Je ne parle même pas du projet de ficher les enfants de trois ans supposés manifester des troubles du comportement.

Or, les conséquences sociales - dont on fait porter la responsabilité aux parents et aux enfants, ce qui est littéralement une honte - sont devenues extrêmes et terribles. Dans une société où l'acte d'achat est le plus important, où l'argent est érigé en valeur absolue, cela veut simplement dire qu'il n'y a plus de parents, plus d'adultes, plus d'autorité et donc plus d'enfants non plus.

Dans cette vaste entreprise de détournement de l'attention des enfants vers les marchandises, les parents sont expulsés, décrédibilisés - « ringardisés », comme on disait il y a quelques années. - mais aussi mis en position d'accusés. Quant aux enfants, ils sont abandonnés à une condition orpheline provoquée par cette incurie. En détruisant l'autorité des parents sur les enfants, on détruit du même coup le pouvoir symbolique de la Loi (c'est à dire de ce qui stabilise sous la forme d'un contrat social une compréhension historique et partagée de l'intérêt général) au profit d'un « surmoi automatique » (c'est une expression de Marcuse) qui ne fonctionne que par la répression, et non plus par l'intériorisation - intériorisation à laquelle la puissance publique et symbolique a définitivement renoncé : le citoyen est lui-même et en tant que tel devenu un consommateur auquel on inculque des réflexes conditionnés et que l'on contrôle par la peur du radar automatique et la caméra de video-surveillance. Mais on ne compte plus sur l'esprit civique parce qu'on n'en a plus soi-même. Et en renonçant à l'intériorisation symbolique, on a aussi renoncé à la confiance - c'est à dire, au fond, à la paix civile.



De mode limite du fonctionnement social, la répression tend ainsi à devenir son mode ordinaire.

Pour autant, il ne s'agit pas simplement d'un nouvel épisode de la « lutte des classes ». L'anéantissement de la relation intergénérationnelle n'a pas seulement lieu dans les populations pauvres : les déterminismes sociaux « classiques » sont ici en partie dépassés. Les enfants des classes populaires sont bien entendu plus fragiles et plus menacés que ceux du patron de M6 - qui avait un jour déclaré qu'il ne souhaitait pas que ses propres enfants regardent M6 - , mais d'une manière générale, les anticorps sociaux fonctionnent de moins en moins bien quelles que soient les catégories de populations. C'est entre les générations que cela se joue, et non entre les classes sociales - même si les deux polarités se combinent évidemment.

Or, c'est aussi cela qui est intéressant, car cela a pour conséquence que la lutte sociale et politique passe aujourd'hui par l'intérêt général. Autrement dit pour que les grands banquiers et les grands industriels se disent qu'il n'est plus possible de continuer comme ça, il faut que leurs propres enfants soient menacés par cette pollution mentale, comme leur propre oxygène commence à leur manquer.

Il y a un discours nouveau à tenir sur l'intérêt général pour sortir de l'ultra court-termisme du capitalisme et de la jetabilité généralisée qu'il induit (jetabilité des produits que l'on consomme, des ouvriers qui les produisent, et des entreprises elles-mêmes, que les LBO démantèlent puis revendent « par appartements » en Chine ou en Inde).

Ici et pour finir je voudrais insister sur le fait que ce discours de l'intérêt général passe essentiellement par la jeunesse non seulement comme objet de préoccupation des parents et des adultes en général, mais aussi comme sujet de cette préoccupation. Et ici, il faut bien reconnaître que ce n'est pas seulement le marketing qui induit toutes ces ruptures : l'accélération de l'innovation joue évidemment aussi et de son seul fait un rôle majeur.

Or, si la jeunesse est très réceptive à cette innovation, en particulier au numérique, c'est aussi parce que cette technologie est porteuse de possibilités économique, culturelles et politiques alternatives. C'est ce que j'appelle, avec l'association Ars Industrialis, l'économie de la contribution (3).

Les jeunes générations sont souvent très engagées dans les modèles et les pratiques qui représentent pour nous les embryons de ces pratiques sociales, culturelles et économiques nouvelles. De ce point de vue là, une question fondamentale pour l'avenir est de parvenir à faire travailler ensemble les générations à partir des savoirs qui sont les leurs, et qu'il faut faire se rapprocher et se féconder. Une partie importante de la jeunesse trouve dans les médias numériques des modèles non-consuméristes, c'est à dire ne reposant plus sur l'opposition production/consommation.

L'économie de la contribution s'est concrétisée dans les logiciels libres, l'encyclopédie Wikipedia, et de nombreuses autres formes de pratiques collaboratives moins connues. Ces modèles ne concernent pas que le numérique, ils se retrouvent dans beaucoup d'autres domaines, comme la production énergétique décentralisée : avec les réseaux de distribution d'électricité intelligents, les « smart grids », le consommateur est également producteur d'électricité.

Ce qui est en jeu dans cette nouvelle révolution industrielle, c'est aussi la réarticulation du lien intergénérationnel, c'est à dire le réagencement des savoirs, et la mobilisation de la jeunesse dans de grands projets d'avenir pour lesquels elle est motivée.

La jeunesse vaut beaucoup plus qu'elle ne le croit et que nous ne le lui disons. Il nous faut à présent l'admettre, lui faire confiance, et l'en convaincre. Elle a des savoirs qui lui sont propres en effet, et qui sont issus du devenir technologique qu'elle s'approprie comme génération des « digital natives ». Et ceci doit devenir un projet économique et politique intergénérationnel, et la base d'un nouveau projet social. Pour cela, il faut que la puissance publique mette en oeuvre des dispositifs de financement de ce que l'on appelle les externalités positives. Celles-ci désignent des valeurs économiques et sociales indispensables au fonctionnement de la société, mais qui ne sont pas « monétarisées » par des marchés. On parle en ce sens de pollinisation, par référence à l'activité des abeilles qui fécondent leurs végétaux tout en butinant pour faire leur miel.

Je travaille actuellement avec mes amis d'Ars Industrialis, mais aussi avec des collectivités territoriales, à des modèles économiques où, plutôt que de distribuer des aides sociales, la puissance publique allouerait des fonds sur des projets contributifs - et en particulier pour les jeunes générations. Il s'agit de passer de l'aide sociale à l'investissement social, et cela concerne la jeunesse en tout premier lieu.

J'ai aussi plaidé (4) pour que la puissance publique se renouvelle en profondeur en recrutant massivement des jeunes gens en contrats temporaires, et afin de se moderniser - non pas en réduisant ses moyens et en renonçant à ses missions, incurie qui conduit à nombre des maux que j'ai décrits ici, mais au contraire en mettant en oeuvre de nouvelles missions inscrites dans le cadre d'un immense changement de modèle dont nous savons tous qu'il est indispensable si nous vouons que l'humanité perdure et que les générations futures puissent vivre dignement.

Ce dont la jeunesse a besoin, c'est une véritable perspective. Pour cela, il faut lui faire confiance, compter sur elle, faire appel aux compétences qu'elle acquiert aussi dans ces situations si difficiles. Aujourd'hui, 25% des jeunes sont au chômage, selon les estimations officielles. Faute d'un sursaut qui renverse la situation du tout au tout, nous allons inévitablement au devant d'un conflit intergénérationnel majeur.


Bernard Stiegler




(1) Flammarion, sortie en librairie le 6 octobre 2010

(2) Flammarion, 2008

(3) cf www.arsindustrialis.org
(4) dans La télécratie contre le démocratie. Lettre ouverte à nos représentants politiques, Flammarion, 2007.

11ème Café Repaire Berrichon



Amis AMG d'ici et d'ailleurs bonjour

La réunion du Café Repaire a traditionnellement lieu le troisième jeudi du mois à 19h au bistrot le Guet-apens de Pigny (10 km au Nord de Bourges direction Henrichemont). Et bien, en cette rentrée 2010, ça ne change pas. Ce sera juste un jeudi 16 septembre.

Comme nous pouvons d'ailleurs le noter, cette chaude rentrée nous annonce une année riche en actualités : "Ca commence à frémir". Nous devrions passer à une nouvelle ère pour passer d'un siècle de guerres à "l'âge de faire" ? Nous étions 10 000 à Bourges, 7 000 à Vierzon, 1 000 à Saint Amand, 500 à Saint Florent, 350 à La Guerche, et 2 millions en France dans les rues contre la réforme des retraites en ce mardi 7 septembre. Et pourtant, l'angle sous lequel nous nous penchons n'est peut-être pas vraiment le bon. Nous ne sommes pas encore assez près de la plage, les pavés sont encore bien enracinés. Alors, il serait peut-être judicieux de réfléchir maintenant à "trouver de nouvelles armes".

Partageons donc cet article de Bernard Stiegler à paraître dans la revue du Secours populaire de ce mois de septembre, et retrouvons-nous jeudi 16 septembre pour y penser ensemble.

"Ca commence à frémir" :
http://video.google.com/videoplay?docid=8215080427168435251#

sur le revue "L'âge de faire" :

http://www.lagedefaire.org/

sur "Le Pavé"
http://www.scoplepave.org/conf_incul_5.php

sur le séminaire "Trouver de nouvelles armes " - Ars Industrialis - Collège international de philosophie :

http://www.arsindustrialis.org/le-s%C3%A9minaire-trouver-de-nouvelles-armes-coll%C3%A8ge-international-de-philosophie